Une saga chevaline et des aboiements ou La résurrection de la Select-Bibliothèque
Dans les années 1930, la littérature flagellante de l’entre-deux-guerres, sans doute lasse des sempiternels récits de fessées, de discipline dans les internats de jeunes filles, de corrections cuisantes sur des popotins de soubrettes maladroites et de démarquages masochiens, passe à la vitesse supérieure avec une floraison de textes explorant des perversions de plus en plus fantaisistes.
C’est l’âge d’or du fétichisme du cuir verni. La Librairie Générale publie les récits du mystérieux Alan Mac Clyde et révèle son fabuleux illustrateur, Carlo, qui influencera John Willie et toute l’école américaine d’après-guerre. Les éditions du Couvre-Feu exploitent mieux que les autres la puissance des femmes dominatrices et engagent l’illustrateur le meilleur du genre : Wighead.
C’est aussi la période la plus folle de la Select-Bibliothèque, éditeur plus marginal qui, à l’ombre des sages Orties Blanches, développe depuis 1906 une collection qui aborde des sujets plus originaux, comme le travestissement forcé des jeunes garçons (le « forced crossdressing ») et le masochisme zoomimique (autrement dit : le rabaissement de la dignité humaine au stade de l’animalité). Dans sa dernière décennie, la Select publie ainsi des récits au fétichisme vestimentaire excessif (Le Dressage de la Maid-esclave, Tailles de guêpe), des histoires de lesbiennes adoratrices du cuir verni (Les Esclaves du cuir verni), du bondage qui ne dit pas encore son nom (Liens, bandeau, bâillon parle d’entraves et de ligotages), un fascinant roman qui fantasme sur le cannibalisme (Les Maîtres redoutables), une trilogie sur la chevelure (L’Amoureux des chevelures), d’autres garçons féminisés (Tu deviendras fille ! Le Page efféminé). On trouve une femme transformée par sa rivale en poularde, des femmes-sirènes au bord d’une piscine, des femmes-cerfs prises en chasse et un diptyque au sadisme impitoyable sur le thème des chevaux humains : Attelages humains (1931) et Écuries humaines (1935), qui nous semblent caractéristiques de l’extrême fantaisie de la Select.
Aussi avons-nous voulu poursuivre le récit de ces deux textes du dénommé Skan et prétendument adapté d’un manuscrit danois par Bernard Valonnes, lequel précise dans sa « note du traducteur » (dans Écuries humaines) que la fortune et l’éloignement – nous sommes dans une immense contrée aux confins du Brésil, loin de tout centre policé (l’imaginaire du château sadien en est voisin) – donnent à certaines personnes richissimes une puissance telle qu’elles peuvent l’employer à satisfaire les plus « étranges caprice » et « les plus curieuses inventions ». Valonnes décrit donc des êtres humains qui « n’ont d’autre pensée que de ramener à l’animalité les créatures qu’ils achètent ou qui se livrent à eux et qu’ils se proposent comme but une assimilation sans cesse plus complète de leurs esclaves à des animaux domestiques, chevaux ou chiens ».
En effet, le dernier chapitre du rarissime Écuries humaines se clôt de la façon la plus outrageuse : par une exposition de chiens humains, à San Francisco, séquence qui est sans précédent dans la littérature SM de cette époque. Nous avons donc repris les personnages de cette saga chevaline en publiant Femellisé (S-B n° 99) et La Chienne fatale (S-B n° 10O). Si nous sommes restés fidèles au thème des chevaux humains, c’est ce dernier chapitre canin, d’un sadisme impressionnant, qui nous a inspiré notre suite, écrite par Don Brennus Aléra fils. Inutile de connaître les volumes originaux pour l’apprécier (nous en proposerons cependant des fac-similés dès que possible). Il est question de Mrs Stone, milliardaire américaine, et de sa nièce, la jeune Barbara d’Alaincourt, qui décident d’éduquer le dissipé Robert, neveu de la première et frère cadet de la seconde, en en faisant un ravissant et obéissant chien de luxe. Robert, désormais Riri, est promené en laisse, vit dans une niche et aboie du mieux qu’il peut. Mais il y a Pietro, dresseur de pouliches, dont la cruauté est sans limites et qui a bien envie que Riri devienne un caniche femelle d’une harmonieuse obscénité. Surgit aussi un personnage redoutable, plusieurs fois croisé dans des romans de la select : la Chanoinesse de Mareuil, pourvoyeuse d’esclaves. L’intrigue se déplacera du Matto-Grosso à Auteuil, puis à Berlin au début des années 1930.
Comme les volumes originaux de la Select, nos récits sont illustrés par Sybel. Ses compositions à l’encre restent fidèles au style de la collection. Outre la couverture, les volumes sont chacun ornés de 11 illustrations hors-texte (dont une en double page).