Femellisé et La Chienne fatale : diptyque de la cruauté
Vous devez nous croire : collectionner des romans fétichistes français de l’entre-deux-guerres nécessite de l’obstination et de la chance. S’il est relativement aisé de chiner les « Orties Blanches » de Jean Fort, il est plus ardu de trouver les romans illustrés par Carlo ou René Giffey ; la concurrence est rude pour les éditions Prima bénéficiant des compositions de Chéri Hérouard. Enfin, les exemplaires fragiles de la Select-Bibliothèque, plus confidentiels, exigent beaucoup de patience.
Il nous a semblé judicieux de réimprimer en fac-similé et à la demande quelques titres rares dont vous trouverez la liste dans notre boutique. Et sans aucun doute continuerons-nous d’exhumer ainsi quelques romans introuvables et de les numériser avec un soin extrême pour les proposer au format originel.
Mais il nous semblait encore plus intéressant de continuer la collection, interrompue en 1939, et d’éditer des nouveaux récits illustrés, dans l’esprit fétichiste d’antan.
Don Brennus Aléra, le maître d’œuvre de ce label, aimait pratiquer les auto-références, renvoyait ses lecteurs à des romans précédents, convoquait des personnages déjà créés quand il ne constituait pas des sagas entières sur plusieurs livres.
Aussi, en hommage à son jeu littéraire, Femellisé et La Chienne fatale – signé Don Brennus Aléra fils ! – forment un dyptique qui fait lui-même suite à un autre, publié en 1931 (Attelages humains) et 1935 (Écuries humaines). Inutile de les avoir lus pour apprécier ces péripéties inédites. Le décor a été repris : Villa Bella, une hacienda située dans le Matto-Grosso, dont la propriétaire, l’excentrique milliardaire Mrs Stone, donne vie à ses fantaisies : « Ma passion, dit-elle dans Attelages humains, est de faire tirer de petites voitures par des attelages humains, remplaçant les chevaux ; naturellement ces voitures, ou plutôt ces sulkys sont proportionnés à la confirmation et à la vigueur humaine ; enfin je traite et je soigne ces êtres comme des chevaux de luxe. »
La communauté BDSM d’aujourd’hui dénomme cette pratique le « pony play », à la différence colossale près
qu’avec Mrs Stone le consentement d’autrui à ses extravagances n’est pas de mise. Elle cherche même le contraire, et à profiter de situations délicates pour mieux asservir et assouvir sa nature sadienne. Attelages humains et sa suite ne sont pas des bluettes SM sentimentales « entre adultes consentants ». Nous sommes dans un Matto-Grosso de fantaisie, terrain imaginaire d’un érotisme glacé, cruel et amoral.
Rien de ce programme n’a été modifié dans les textes de 2022. Ils replongent avec délice dans ces perversités et espèrent en retrouver l’un des charmes littéraires : l’aventure débridée du roman feuilleton, avec ses coups de théâtre, ses renversements, ses péripéties et ses personnages spectaculaires, parfois grandiloquents.
Le « pony play » passe à un plan secondaire. Ce qu’il importe cette fois à Mrs Stone et à sa nièce Lady Barbara est de dresser en chien – un caniche précisément – leur neveu et frère Henri. Les modifications corporelles dépasseront les bornes, faisant basculer ce dressage dans un érotisme éprouvant qui le rapproche de l’éro-guro [érotisme grotesque] japonais.
Autre hommage à l’ancienne Select, dont le catalogue contenait de nombreux récits de féminisation contrainte [forced crossdressing], Henri n’est pas seulement un chien, mais une chienne qu’un dresseur impitoyable s’évertue à rendre la plus sensuelle possible.
D’autres personnages surgissent, qui bouleverseront le cours tranquille de cet asservissement, telle la Chanoinesse, odieuse trafiquante d’esclaves habitant le
quartier parisien de Passy, ou encore la Herrin von Kraft, tenancière d’un cabaret à Berlin.
C’est un peu comme si Gaston Leroux s’était mis en tête d’imiter le chevalier Léopold von Sacher Masoch. Ce qui n’a rien d’incongru quand on songe au destin masochiste de Chéri-Bibi ou au Fantôme de l’opéra, paria absolu.
Un tel rapprochement résume Don Brennus Aléra fils.