Années 1930 sous la croupe féminine

Années 1930 sous la croupe féminine

Sous la croupe féminine blog

Révélé en Europe dans les années 2000, le dessinateur japonais Namio Harukawa (1947-2020) fut le maître incontesté du « face-sitting ». Mais en littérature, dès les années 1930, un énigmatique auteur français de romans femdom était obsédé par cette pratique, utilisée dans tous ses récits : Jim Galding.

De 1935 à 1938, Jim Galding – sa véritable identité n’a jamais été découverte – écrit neuf romans, publiés par divers labels de la Société des éditions Gauloises créée par Victor Vidal (sur cet avisé libraire-éditeur, voir notre préface au Vice chez les femmes, La Musardine, 2017). Excepté pour les deux derniers (L’Éducatrice passionnée et L’Amoureuse Discipline, d’ambiance lesbienne), son œuvre marque le sommet d’une domination féminine exercée sur les mâles, plutôt rare dans cette littérature de l’entre-deux-guerres. Ses textes mettent inlassablement en situation un jeune homme subjugué par une aventurière impitoyable, narrent son rapide esclavage, d’autant plus excitant que le jeune freluquet appartient à la noblesse et qu’il devient aussi le jouet corvéable des servantes de Madame. En général, sa soumission ne peut s’épanouir que dans un lieu clos,  

Sous la croupe féminine - frontispice - Jim Galding

parfois exotique, qui autorise les frasques les plus fantaisistes. Le récit initiatique revêt alors les formes d’une utopie masochiste.

Ainsi Philippe de Bléville, héros d’Impérieuse volupté ou L’Affolante servitude, est le fils d’un des plus gros métallurgistes français, âgé de 20 ans, « de noblesse origine ». Il tombe éperdument amoureux d’Eliane Sidney, 25 ans, « des yeux de biche d’une étrange couleur verte, aux feux presque cruels… » Elle a hérité de la colossale richesse de son époux défunt, lequel a eu le temps de l’initier, en masochiste fervent, « aux pratiques bizarres de cette morbide passion ». Le lieu privilégié qui révèle à Philippe sa profonde nature masochiste est une vaste propriété en Touraine avec le château symbolique du roman gothique et un parc propice aux promenades équestres à dos d’homme. De la première gifle à la signature d’un contrat d’esclavage donnant droit de vie et de

Impérieuse volupté ill.#2 Jim Galding

mort, Philippe découvre enfin le tempérament possessif de celle qu’il doit nommer « Votre Grâce ». Les épreuves l’emplissent à la fois de honte et de plaisir : il est bondagé, contraint de marcher à genoux, sert de siège devant la coiffeuse de maquillage, lèche les pieds d’Eliane, « un peu humides de la sueur de la journée », dort au pied du lit, « ligoté comme un saucisson », la tête enfermée dans la culotte souillée d’Eliane, respirant ses émanations intimes, subit chaque matin un lavement de deux litres qu’un étroit caleçon de caoutchouc l’oblige à garder avant de demander humblement à la soubrette de lui permettre de se soulager, s’habille en garçonnet, est promené en laisse « comme un chien » par la soubrette, est livré pendant une semaine à la cruauté de celle-ci qui s’empresse de se servir de sa bouche « comme d’un vase 

intime », vit nu à l’exception d’un petit cache-sexe, lave le linge, etc. Eliane le dresse à un esclavage définitif : « J’ai toujours rêvé d’avoir un homme auprès de moi, en servitude. » Construit sur le mode de la surenchère, cet asservissement ne connaît jamais de répit. Aucune révolte, aucun rebondissement ne vient troubler la narration. Plutôt que de ménager un suspense, Galding s’attache à rendre les tourments toujours plus humiliants. Ce sont les nombreuses dominatrices, découvertes progressivement, qui apportent la variété indispensable à son récit linéaire. L’arrivée d’une nouvelle soubrette, qui déteste les hommes, ajoute un degré supplémentaire au dressage de Philippe : « la pensée, écrit justement Galding, que cette fille qu’il ne connaissait pas une demi-heure auparavant, le traitait déjà comme le plus humble des esclaves, cette pensée l’emplissait d’une atroce volupté. » Sa confrontation avec Gladys Malloran, Américaine trentenaire, dominatrice aguerrie et imaginative, lui fait découvrir les affres du face-sitting. A l’issue du roman, seul homme parmi des dominatrices, corrigé à la moindre faute, Philippe se plie aux ordres d’Eliane, de son amie américaine, des femmes de chambre, et même d’Yvonne, la grosse cuisinière provençale. Le récit s’achève par une fête entre femmes avec de jeunes invitées ignorant tout de la domination. Mais selon Galding, toute femme possède en elle une fibre dominatrice qui ne demande qu’à s’exercer : « – Ce que c’est épatant d’avoir des esclaves ! s’écria l’une d’elles. »

Le roman s’achève sur la promesse d’un bonheur sans faille pour Eliane et Gladys, ferventes lesbiennes ivres de domination : « Et les deux amies échangèrent un baiser brûlant, tandis que sous leurs pieds, les esclaves couchés gémissaient, formant un marchepied

de chair douloureuse et meurtrie, écrasé sous le double poids des Dominatrices triomphantes… » Dans ce dernier paragraphe, véritable happy end pour les dominatrices repues de caresses, les pensées de Philippe ont disparu, annihilées sous le poids des femmes et la plume de Galding. Le prénom disparaît : Philippe n’est même plus un esclave que l’on nomme, il est chosifié, élément d’un marchepied.

Galding éprouve la même ivresse que ses dominatrices à tester le degré d’asservissement de son personnage, souligne avec un plaisir sadique ses moindres tremblements, n’omet jamais de décrire la honte pourpre qui monte au front, les larmes qui coulent, les hoquets de dégoût, « les fesses convulsivement serrées dans l’attente des coups » et les frustrations sexuelles. S’ajoute un 

A genoux esclave ill.#9 Jim Galding

fétichisme dont l’auteur semble la première victime tant il décrit par le menu la perfection physique des dominatrices et leur luxueuse garde-robe. L’achat de matériels coercitifs en provenance de Paris donne encore lieu à une énumération fascinante, quasiment poétique : « fouets de cuir et de corde, knouts aux lanières plombées, martinets d’acier, cravaches, palettes de cuir… Il y avait aussi des fers et des tenailles, des tringles d’acier souples et mordantes, des cangues en bois. Dans une autre caisse, Philippe trouva une quantité de liens de cuir et d’acier : chaînes et menottes, bandeaux et bâillons, entraves de tous genres. Il découvrit également des corsets de cuir et de crins, des caleçons de peau glacée, fermés au cadenas, des culottes en poil de chèvre, des corsets d’acier, des cagoules. Enfin, dans un troisième colis, il y avait tout un attirail d’équitation, selles de cuir d’une forme étrange, faites pour des montures humaines, éperons et harnais, mors de discipline, rênes de cuir. » Ce premier roman est une réussite qui pose tous les jalons.

Même inexorable dégradation dans Gitanes dominatrices : « Je suis prêt à faire n’importe quoi pour vous ! Je suis riche, je suis libre… Disposez de moi ! », affirme l’oisif René Lersange, en 

Gitanes dominatrices ill.#2 - Jim Galding

villégiature dans un village provençal. Mais aurait-il dû dire cela à la capiteuse gitane qu’il vient de croiser ? Le voici désormais captif d’un campement de bohémiens, esclave personnel de cette cruelle Conchita, lui servant de siège, léchant ses fonds de culotte, l’assistant à sa toilette et témoin impuissant de ses ébats avec le viril Mario. Il lèche les pieds noirs de crasse des fillettes du camp, subit les humiliations de Priska, la sœur de Conchita, et est promené nu, tiré par une laisse fixée à son anneau nasal. Yvonne, sa compagne d’esclavage, n’est pas plus épargnée par le fouet et les brimades. René sera vendu à la cousine Aïcha, qui danse dans les cabarets montmartrois. Elle a 18 ans, encore plus belle que Conchita, et plus despotique. 

L’Ardente Tutelle est le premier volet d’un étonnant triptyque, pimenté par un zeste de féminisation forcée. Il décrit comment Michel Desterjac, jeune homme aisé, est asservi par Christianne Bergal, ancienne vedette de la danse. Elle le prête à Maud Luzane, qui le dresse avec ses deux femmes de chambre rieuses, dans son château tourangeau. En bas de soie fine, en talons hauts, la taille étroitement serrée dans un corset, maquillé et perruqué en blonde, il devient la soubrette Rose. Jacqueline, la fille de Maud, se montre encore plus sadique que la mère.

Ce joli monde part, dans le deuxième volume titré À genoux esclave, sur une île mystérieuse d’Amérique latine, près de l’Argentine. Galding y construit un paradis gynarchique : « l’île pouvait recevoir cent Maîtresses et trois cents esclaves. Les habitations formaient en tout une centaine de

ravissantes villas, perdues dans les fleurs et les branches, des rues bien ordonnées reliaient les villas entre elles. Sur le sommet d’une colline se dressait le palais impérial, qui n’était autre qu’un casino transformé. Car les femmes avaient décidé de nommer l’une des leurs Impératrice de l’Île. Il y avait aussi un palais des sports, des restaurants, des piscines, un théâtre et un cirque en plein air. Il y avait même des prisons, un bagne d’esclaves, et derrière chaque villa une écurie pour y enfermer le bétail humain. (…) Comme l’île était une propriété privée, personne n’avait le droit d’y aborder sans autorisation, et les côtes étaient gardées par quelques tribus à demi sauvages, vivant sur des rochers, sur lesquels on avait installé deux petits fortins et un 

A genoux esclave ill.#1 - Jim Galding

phare, qui servaient à surveiller le large. » Galding prévoit aussi une milice, une sorte de police composée d’une « cinquantaine de jolies filles du peuple, recrutées parmi les robustes poissonnières de Marseille, ou parmi les prostituées de Paris. (…) Les dix plus robustes étaient les gardiennes du bagne d’esclaves. » C’est un univers clos et enchanteur, dotée d’une nature riante (Galding insiste bien sur cet adjectif), contrastant à merveille avec les tourments quotidiens des asservis : ligotages, culotte souillée de la maîtresse qu’on fixe comme un masque très serré sur le visage de l’esclave, sièges humains sur le visage desquels les croupes s’épanouissent pendant près d’une heure, anulinctus qui ne disent pas leurs noms, montures humaines, toilettes intimes. Le carnet intime d’un esclave, brillant avocat français kidnappé, occupe une grosse partie de la narration, décrivant son calvaire avec complaisance et se concluant par ce constat : « Je n’envisage plus aucun autre avenir, puisque je suis devenu pour toujours l’esclave des femmes. »

L'orgie dominatrice ill.#1 Jim Galding

Ce sommet de la domination féminine se termine avec L’Orgie dominatrice qui voit Christianne Bergal sacrée Reine des Dominatrices. L’événement est fêté dans une débauche de luxe et de tourments cruels. Sur son trône de chair, la Reine assiste aux exhibitions d’esclaves-litières et d’esclaves-sièges, aux démonstrations de flagellation et de torture, ouvre le banquet orgiaque à la lumière des esclaves-candélabres et des effluves de champagne. Une comtesse italienne, invitée sur l’île, novice en domination, en devient aussitôt adepte… avant d’être asservie et offerte à sa soubrette. C’est la grande loi de l’île de la Domination : « Les plus grands deviennent les esclaves des plus humbles, par la seule puissance du fouet, cet éternel dominateur. »

Dans Sous la croupe féminine, l’illustrateur WIGHEAD, déjà auteur des dessins de précédents titres (A genoux esclave et L’Orgie dominatrice) se surpasse. Ses charmantes dominatrices n’ont 

pas plus de vingt-cinq ans, joliment dodues, le fessier rebondi craquant sous une jupe bien serrée, la taille fine. Les lèvres carminées arborent un sourire de plaisir évident devant les hommes avilis. Wighead rosit les joues des deux amies alanguies sur le corps d’un esclave nu, dans un plein air bucolique. Les jeux cruels nécessitent quelques marques sanglantes : le sang coule des flèches enfoncées dans les parties charnues d’un homme en croix servant de cible à deux tireuses à l’arc ; le fouet d’une dresseuse marque de profondes estafilades sur les cuisses et le torse de deux autres. Le texte de Galding présente la Comtesse Bella de Festenlang, dominatrice archétypale issue de la haute société viennoise. Elle subjugue les plus fervents mais a aussi recours à l’enlèvement. Dans son château tyrolien, les esclaves, âgés de vingt à trente ans, dorment dans des cages d’acier qui ne sont « pas assez hautes pour permettre à leurs malheureux occupants de se tenir debout. » Ils y sont solidement attachés par un collier 

Sous la croupe féminine ill#6 - Jim Galding - Wighead

d’acier au cou, des bracelets bloquent les chevilles et des menottes les poignets et un corset de cuir « atrocement serré » comprime une poitrine marquée d’un numéro au fer rouge. Dix esclaves sont en permanence attachés dans l’écurie et servent de montures et d’attelages : « L’existence, pour ces pauvres bêtes humaines, était un véritable calvaire. Ils se tenaient debout ou agenouillés, dans des stalles séparées semblables à celles des chevaux de course, et garnies d’un peu de paille. Comme leurs compagnons d’esclavage, un collier et des bracelets de chevilles les retenaient captifs. Mais leur corset était remplacé par une étroite ceinture de cuir, et leurs mains étaient attachées derrière le dos. De plus, ils avaient tous les narines perforées, et un anneau de cuivre, passé dans le nez comme ceux des ours savants, était relié au mur de l’écurie par une petite chaîne. »
Adepte des contrastes, Galding oppose à ce troupeau servile et condamné au silence, « sous peine des pires châtiments », un essaim de soubrettes joyeuses et volubiles, rieuses et insouciantes. Elles font preuve d’indifférence devant la déférence servile des hommes et d’une grande cruauté, leur crachant au visage, leur cinglant les épaules, les brûlant, les fouettant. On retrouve encore les  

Sous la croupe féminine ill#4 Jim Galding

sièges humains sur le visage desquels s’écrasent et s’épanouissent les croupes féminines : « Vaste et confortable, chacun de ces meubles ne possédait pas de coussin, mais le siège était seulement fait de sangles de toile assez élastiques. Le devant du fauteuil était échancré, et un esclave était agenouillé, tournant le dos à ce meuble étrange. L’homme avait les pieds et les mains ramenés par derrière, attachés solidement aux pieds du fauteuil. Son torse était renversé en arrière au maximum, et son cou était emprisonné dans l’échancrure placée au barreau supérieur, et maintenu au moyen d’une petite tringle formant loquet. De cette façon, la tête de l’esclave reposait sur les sangles du siège, dont son visage formait le coussin. » Galding décrit aussi  une chasse à courre  aux esclaves, muselés par un bâillon de cuir et le visage enfermé dans des masques à têtes d’animaux.  Toutes ses trouvailles, l’extrême cruauté d’un univers d’hommes transformés en bêtes et en objets utilitaires, l’ambiance joyeuse de ces bataillons de 

jeunes filles aussi belles qu’impitoyables annoncent l’inspiration du dessinateur anglais actuel Sardax et le goût du face-sitting de Namio Harukawa.

Au royaume du fouet, ou Les Maîtresses impitoyables, annoncé sur la couverture comme un « grand roman de mœurs masochistes », offre le portrait d’une star excentrique du cinéma hollywoodien, Marlène Jaffel, d’origine viennoise (encore!). Son esclave servile est le baron von Rück, lequel lui a abandonné toute sa fortune pour devenir son chien Médor : « il était à peu près nu, à l’exception d’une sorte de caleçon en cuir très serré, fermé à la taille par un cadenas. Ses chevilles, serrées dans des bracelets d’acier, étaient enchaînées entre elles, ce qui le rendait incapable de marcher autrement qu’à genoux. » Lécheur de croupes féminines, tapis humain, bouche-cendrier, l’ex-baron est un exemple méritoire de soumission. Une fois de plus, les héroïnes de Galding témoignent d’un goût prononcé pour le face-sitting. Marlène explique à son

amie qu’il est fort agréable de sentir, à travers la soie d’une culotte, une haleine qui vous caresse, ou une « langue de chien bien dressé qui vous lèche à grands coups. », qu’il faut aussi coincer le nez de l’esclave entre les fesses pour laisser quand même un peu d’air. Et Galding n’omet point d’évoquer l’« étouffante obscurité » qui plonge le malheureux quand la jupe se rabat, « la brûlante pression [des] fesses merveilleuses ». Sous l’autorité de Marlène Jaffel, deux jeunes femmes oisives, à cent lieues de croire encore en la survivance de l’esclavage, découvrent les plaisirs de la domination. Parfaitement initiée, Dolorès Del Carno, fille d’un planteur de tabac cubain, asservit Robert Duglène, « jeune Parisien du meilleur monde, désœuvré et très riche », amoureux transi qu’elle asservit d’abord 

Au royaume du fouet ill.#1 - Jim Galding

par correspondance, à qui elle envoie son linge intime imprégné de ses parfums. Ce dressage épistolaire le transforme en un parfait soumis. Les dominatrices, escortées par leurs esclaves mâles et femelles sont invitées par un Hindou à passer un séjour instructif sur son île de souffrance. Sa femme, la princesse Fatima, se révèle encore plus cruelle qu’elles trois réunies et d’une imagination diabolique. Retenons les pots de chambre vivants, dans la bouche desquels on 

Au royaume du fouet ill.#3 - Jim Galding

peut se soulager, ceux-ci reversant ensuite le contenu dans des vases auxquels ils  restent attachés, demeurant la plus grande partie de la journée le nez plongé dans les déjections, respirant leurs parfums, dans l’obscurité, prosternés. Les dernières pages, d’un profond sadisme, s’achève sur la visite des écuries de la princesse, dans laquelle une vingtaine d’hommes robustes sont animalisés et réduits au rang de montures, parqués dans des boxes séparés garnis de paille, le nez percé d’un anneau muni d’une chaîne reliée à un râtelier. Perfectionniste, la princesse explique à ses hôtes :           « Naturellement, il leur est formellement interdit de parler, car j’ai voulu faire de ces hommes de véritables chevaux. Et comme nourriture, ils ne mangent que de l’avoine, tout comme leurs confrères à quatre pattes ! » 

Ces romans sont aujourd’hui extrêmement difficiles à dénicher. Il existe cependant quelques rééditions clandestines dans les années 1960, et au moins deux rééditions dans les années 1970. Les illustrations ajoutent un charme indéniable, surtout lorsqu’elles sont de Wighead, lequel pourrait fort bien être l’Italien Mario Laboccetta (1899-1988), une supposition qui mérite l’examen. Celui-ci avait beaucoup travaillé dans des revues de charme françaises des années 1930, comme Paris Plaisirs et Séduction (du groupe Vidal justement) et avait illustré à l’aquarelle des ouvrages des éditions Nilsson, Fernand Nathan et Henri Piazza : Contes fantastiques d’Hoffmann, Les Fleurs du mal et Les Paradis artificiels de Baudelaire, Les Aventures d’Arthur Gordon Pym d’Edgar Poe, Émaux et Camées de Théophile Gautier, etc. Après-guerre, il avait poursuivi sa carrière en Italie. MARIo LaboCcetta est à l’évidence le MARILAC qui signe l’extraordinaire Mademoiselle Cinglade d’André Vergereau. Laboccetta/Marilac serait-il bien Wighead ? Par le modelé des épaules, la bouche et les yeux fardés, les femmes des Fleurs du Mal dessinées par Laboccetta pour les éditions Nilsson (1933) ressemblent aux dominatrices de Sous la croupe féminine.

Mais les collectionneurs auraient tort de se limiter à la contemplation des images, car les textes de Jim Galding, parmi les plus osés de l’époque, sont tout aussi troublants, pour peu que l’on aime être sous le fessier des dames.

Bibliographie des romans de Jim Galding
Gitanes dominatrices ou les voluptés infernales.
Le Jardin d’Eros, Paris, s.d. [1935]. 12 ill. hors-texte  en couleur non signées.

Impérieuse Volupté ou l’affolante servitude.
Le Jardin d’Eros, Paris, s.d. [1935]. 12 ill. hors-texte en noir et blanc de Gyl Berty.

L’Ardente Tutelle ou les paradis lubriques.
Les Éditions du Couvre-feu, Paris, s.d. [1935]. 25 ill. photographiques non signées [studio Biederer].

A genoux esclave.
Les Éditions du Couvre-feu, Paris, s.d. [1935]. 15 ill. hors-texte en noir et blanc de Wighead. Une traduction anglaise, On Your Knees Slave ! Aux éditions d’Antin, 1937. Réédition clandestine sous le même titre, dans une édition publiée à la fin des années 1950. Traduction allemande, Auf die Knee Sklave, Blaustern Verlag, Berlin, 1970.

L’Orgie dominatrice.
Les Éditions du Couvre-feu, Paris, s.d. [1935]. Couverture couleur et 5 ill. hors-texte en noir et blanc de Wighead. Traduction allemande par Hanna Friedland, Reitpeitschen und Küsse (Die Orgie der Dominas), Eros-Publishing, Hambourg, s.d. [1975].

Sous la croupe féminine.
Éditions Curio, Paris, 1936. 8 ill. hors-texte en noir et blanc de Wighead. Réimpression en 1938, sans nom d’éditeur, avec les mêmes illustrations en couleurs.
Réédition clandestine sous le même titre, de J. Galding, dans une édition du milieu des années 1960 portant la mention « Éditions du Vésuve – Napoli ». Réédition sous le titre La Femelle sadique de Marta Keller, Monnet éditeur, Paris, 1976.

Au royaume du fouet ou Les Maîtresses impitoyables.
Les Éditions du Chevet, Paris, s.d. [1937]. 10 ill. hors-texte en noir e blanc de Hageby. Réédition clandestine  sous le même titre, dans une édition de la fin des années 1960, portant la mention « Éditions Fantastiques, rue de la Traction, Toulouse ». Réédition sous le titre Les Salopes au fouet, de Hugo Syl, Monnet éditeur, Paris, 1976.

L’Éducatrice passionnée.
Éditions d’Antin, Paris, s.d. [1937]. 11 ill. en couleurs d’E.K. [Eugène Klementieff].

L’Amoureuse Discipline ou Les Esclaves d’Eva Crimpton.
Suite de L’Éducatrice passionnée. Éditions d’Antin, Paris, s.d. [1938]. 11 ill. en couleurs d’E.K. [Eugène Klementieff].

Attelages humains au Matto-Grosso

Attelages humains au Matto-Grosso

Matto_Grosso_couverture

L’Obsession du Matto-Grosso, aux éditions du Sandre, sortie prévue ce 17 mars 2022, est le texte fondateur de l’association de la Select-Bibliothèque. Il a été rédigé à l’automne 2020, dans la foulée des Select 99 et 100 que je venais d’achever. Comme une évidence, il devenait un texte programmatique et revenait sur cette obsession du collectionneur. Rechercher des livres peut prendre une vie entière. Rassembler les 98 volumes de la Select-Bibliothèque est une tâche ardue qui a commencé pour moi à l’âge de 15 ans lorsque j’ai découvert dans un hypermarché un roman de poche soldé que tous les amateurs de bizarreries érotiques connaissent. On le trouve encore aujourd’hui à prix modeste : Attelages humains, de Skan, aux éditions Dominique Leroy, collection Le Scarabée d’or, 1981. Histoire folle, au sadisme implacable : une riche Américaine y asservit une amie et ses deux filles pour les ajouter à son écurie de trotteurs humains, qu’elle prend plaisir à conduire au fouet dans sa propriété du Matto-Grosso. L’action se situe dans les années 1930.

Soudain, je découvrais tout un monde de fétichisme, des talons hauts et de cruauté. Je me suis moi aussi mis à galoper derrière les éditions originales de cette incroyable littérature de l’entre-deux-guerres, dont cet Attelages humains était la réédition d’un des exemples les plus troublants.

Je raconte tout ce parcours dans L’Obsession du Matto-Grosso, comment je suis devenu collectionneur, comment les livres me sont peu à peu parvenus, comment j’ai entrepris mes recherches pour découvrir qui était le mystérieux éditeur derrière ce label, Select-Bibliothèque. Les bibliophiles avertis citaient le nom de Roland Brévannes, pseudonyme anagrammatique de Don Brennus Aléra et Bernard Valonnes. Et finalement, Brévannes était encore un pseudonyme !

A me rapprocher de lui, si près et jusqu’au bord de sa tombe enfin, au cimetière d’Avallon, je me suis brûlé les ailes, collectionneur-Icare avalé par sa propre collection, au point de décider d’y entrer à mon tour, d’écrire la suite d’Attelages humains et de reprendre la collection là où elle s’était interrompue en 1939, avec un n° 98. La Select-Bibliothèque se réveille de son sommeil prolongé, plus de 80 ans après.

Immense reconnaissance à Guillaume Zorgbibe, des éditions du Sandre, qui me rappela, enthousiaste, le lendemain de l’envoi de ce texte, entre l’essai littéraire et le récit autobiographique, et qui, avec Julia Curiel, s’est magnifiquement occupé de son édition.

A ce jour, ce livre est la première contribution biographique sur la Select-Bibliothèque et son créateur discret, Paul Guérard, première marche d’une vaste recherche historique qui reste à entreprendre.

L’Obsession du Matto-Grosso, de Christophe Bier. Editions du Sandre, Paris, 2022. Avec 27 illustrations. Prix : 10 €.

Voir : www.editionsdusandre.com

FANTASK, le mook qui ne craint pas l’érotisme

FANTASK, le mook qui ne craint pas l’érotisme

couverture Luciféra 37

En mai 2021 sortait en librairie le n° 1 de Fantask, un mook semestriel dépendant du groupe Dargaud. Belle initiative, généreuse (250 pages!) et thématique. Ce Fantask proposait un dossier entièrement consacré à « la tentation du mal » et affichait comme slogan « le mook qui analyse autrement les cultures pop ». Dans son dossier de presse, Rodolphe Lachat, le directeur de la rédaction affirmait son ambition : faire de son magazine « un lieu de réflexion, de conversation, d’érudition, sur tous les aspects de la culture populaire, par ceux qui la font, ceux qui la pensent et ceux qui la nourrissent ». Pour cela, des articles de fonds, des entretiens fleuves, de l’iconographie, beaucoup d’illustrations.

Sollicités par Fantask pour écrire des articles, nous avons été séduits par la liberté qui nous était proposée. Par ces temps de moraline, gangrenés par les nouveaux censeurs autoproclamés, imposant insidieusement une autocensure générale, Fantask n’a pas hésité une seconde à considérer l’érotisme et même la pornographie comme une part importante de la culture populaire (laissons donc aux officines publicitaires le terme de « pop culture » à la mode, tout devient pop et pardonnons à Fantask ce label « marketing »).

 

Ainsi avons-nous été débauchés pour deux articles sur l’érotisation du Mal : « L’idolâtrie des Satanes » et « Les louves SS », illustrés tous deux par nos propres archives. Le premier texte revenait sur quelques figures de succubes dans la littérature (le délirant La Papesse du diable du surréaliste Ernest Gengenbach), le cinéma (La Goulve et La Papesse, de Mario Mercier, concepteur d’un « witch-cinéma ») et la scène (la démesure hérétique de Rita Renoir). La part belle était laissée aux héroïnes italiennes des « fumetti per adulti » qui avaient déferlé dans les années 1970 : Luciféra en tête, mais aussi Shatane, amoureusement dessinées par Leone Frollo, ou encore Belzeba, la fille de Satan, de Stelio Fenzo, un disciple d’Hugo Pratt. Le second article était le plus sulfureux, que peu de magazines auraient osé commanditer : les louves SS, résurgence de la guerrière amazone, sanglées dans leurs uniformes et bottées, le regard cruel, elles appartiennent à la mythologie moderne du sadomasochisme, jouissant d’un pouvoir absolu, aboyant des ordres ne supportant aucune

Greta_fantask

rébellion, régnant en souveraine sur des régiments de soldats dévoués à leur reine, torturant et tuant leurs prisonniers-esclaves. Tout cela mériterait un livre entier. Nous étions revenus aux sources de cette figure sadique : les « stalag fictions » publiés en Israël dans les années 1950, les pulps écrits en France (Gretchen en uniforme, La Panthère nazie, etc.), les films dits de « nazisploitation » avec la plus iconique de toutes les louves : Ilsa, parée des mensurations affolantes de Dyanne Thorne, ex-danseuse de night-club qui trouvait, la poitrine pointant sous son uniforme SS, une consécration mondiale et dont Rob Zombie rendra hommage dans sa fausse bande-annonce de Werewolf Women of the SS, conçue pour le programme « grindhouse » de Quentin Tarantino et Roberto Rodriguez en 2007. Il y avait aussi les « Men’s magazines » américains (True Story, Man’s Live, Real Men, etc.) et bien sûr encore des fumetti italiens avec une héroïne blonde du nom de Hessa von Thurm, créée par Renzo Barbieri.

couverture Fantask n°2

Voici qu’en avril 2022 sort le deuxième numéro thématique de Fantask, sur « le derrière de la pop », autrement dit sur la vie sexuelle des héros populaires : « Traité de manière frivole, légèrement grivoise ou franchement porno, le cul de la pop, qu’il soit revendiqué comme un étendard, passé sous silence ou complètement fantasmé par ses fans, interroge les époques qu’il traverse, montre les doutes, les révolutions et les tabous qu’elles véhiculent ou qu’elles fabriquent elles-mêmes. Des fan arts aux analyses d’écrivains ou de spécialistes, ce numéro vous en propose un large panorama (R. Lachat, éditorial).
Sommaire copieux : les détournements parodiques en BD (par Bernard Joubert), les parodies dans le cinéma 

porno (par Claude Gaillard), les filles perdues d’Alan Moore, la sexualité des super-héros, les booklets sadomasos illustrés anonymement par Joe Shuster, l’un des créateur de Superman, les vampires (entretien avec Stéphane du Mesnildot), la collection « Chute libre » (entretien avec Jean-Claude Zylberstein).

Pour notre part, en quelques pages, nous racontons la naissance, la grandeur puis la décadence du roman porno populaire, souvent qualifié de « romans de gare ». Cette proposition d’article est encore la preuve de l’esprit de curiosité qui anime ce mook. Les romans pornos de gare sont généralement délaissés, pour ne pas dire ignorés, des études sur la littérature érotique. Et pourtant, sur leur mauvais papier et avec leurs tirages industriels, ils ont contribué largement à la démocratisation de l’érotisme. Laquelle est à l’origine du terme de « littérature pornographique », formule stigmatisante visant à interdire. Tant qu’elle était réservée à une élite, achetant des tirages limités sous emboîtages pompeux, dans des impressions luxueuses, la pornographie ne gênait pas (le pouvoir et lesdites élites). Dès qu’il fut possible d’éditer des romans bon marché et de les diffuser largement, en destination du « peuple », le terme de « pornographie » s’est aussitôt coloré de « vulgarité ». Ces romans furent jugés dépourvus de qualités esthétiques et même considérés comme dégradants, voire dangereux, des romans à contrôler et à interdire. L’âge d’or se situe dans les années 1970-1990, avec la libération sexuelle, l’essor des hypermarchés et des relais de gare, dans lesquels se déversent des cargaisons de pockets sexy puis franchement pornos : collections « Aphrodite », « Cupidon », « Eroscore », « La Brigandine », sans oublier les crapoteux et parfois très pervers « Brigade mondaine » publiés par Gérard de Villiers.

La part du lion revient à Media 1000, toujours en activité, longévité méritoire alors que désormais le marché est exsangue et que les relais de gare n’aiment plus trop exposer ces livres. Les « Confessions érotiques » et « Les Interdits » sont les collections mythiques du label, dirigé jusqu’à son décès en juillet 2020 par Georges Pailler, alias Esparbec, créant en 1986 un industrieux « atelier pornographique » avec son équipe d’auteurs, de rewriters, de correcteurs, ringardisant tout ce qui se faisait alors en refusant le style métaphorique pour une écriture plus sexuelle. Je vous l’assure, dans les plus de mille romans publiés par Media 1000, il s’en trouve certains qui sont des chefs-d’œuvre (certains « Darling » d’Esparbec lui-même, La Fiancée des bouchers d’Eve Arkadine), qui vont au bout de leurs obsessions (Glory Holes de Frédéric Mancini) et qui sont des sommets virtuoses d’insanités (Il m’avait mise à l’engrais ou J’ai épousé un gynécologue pervers

Les dents de l'amour - Couverture

de Carlo Vivari, sont dignes des récits les plus tordus de la littérature SM).

Dans ces articles, nous ne manquons évidement pas de rappeler l’influence de la littérature de flagellation de l’entre-deux-guerre. La couverture originale d’Attelages humains de notre chère Select-Bibliothèque est reproduite. C’est justement dans les collections de « romans de gare » des années 1980 que nous avions découvert une réédition pirate de ce texte incroyable, dans la collection « Le Scarabée d’or » des éditions Dominique Leroy, point de départ d’une aventure que nous racontons dans L’Obsession du Matto-Grosso.

A l’heure de la grande frilosité éditoriale, de l’autocensure généralisée, des cris d’orfraies des nouveaux puritains et de la main-mise des cabinets d’avocats dans le monde du livre (lesquels se nourrissent du spectre de la censure pour justifier leurs relectures de manuscrits et demander des coupes au lieu de défendre la liberté de publication de leurs clients), saluons Fantask, que la pornographie, même la plus sauvage, n’effraie pas.

Voir : http://huginnmuninn.fr/fr/collection/editions-fantask

Une saga chevaline et des aboiements ou La résurrection de la Select-Bibliothèque

Une saga chevaline et des aboiements ou La résurrection de la Select-Bibliothèque

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Dans les années 1930, la littérature flagellante de l’entre-deux-guerres, sans doute lasse des sempiternels récits de fessées, de discipline dans les internats de jeunes filles, de corrections cuisantes sur des popotins de soubrettes maladroites et de démarquages masochiens, passe à la vitesse supérieure avec une floraison de textes explorant des perversions de plus en plus fantaisistes.

C’est l’âge d’or du fétichisme du cuir verni. La Librairie Générale publie les récits du mystérieux Alan Mac Clyde et révèle son fabuleux illustrateur, Carlo, qui influencera John Willie et toute l’école américaine d’après-guerre. Les éditions du Couvre-Feu exploitent mieux que les autres la puissance des femmes dominatrices et engagent l’illustrateur le meilleur du genre : Wighead.

C’est aussi la période la plus folle de la Select-Bibliothèque, éditeur plus marginal qui, à l’ombre des sages Orties Blanches, développe depuis 1906 une collection qui aborde des sujets plus originaux, comme le travestissement forcé des jeunes garçons (le « forced crossdressing ») et le masochisme zoomimique (autrement dit : le rabaissement de la dignité humaine au stade de l’animalité). Dans sa dernière décennie, la Select publie ainsi des récits au fétichisme vestimentaire excessif (Le Dressage de la Maid-esclave, Tailles de guêpe), des histoires de lesbiennes adoratrices du cuir verni (Les Esclaves du cuir verni), du bondage qui ne dit pas encore son nom (Liens, bandeau, bâillon parle d’entraves et de ligotages), un fascinant roman qui fantasme sur le cannibalisme (Les Maîtres redoutables), une trilogie sur la chevelure (L’Amoureux des chevelures), d’autres garçons féminisés (Tu deviendras fille ! Le Page efféminé). On trouve une femme transformée par sa rivale en poularde, des femmes-sirènes au bord d’une piscine, des femmes-cerfs prises en chasse et un diptyque au sadisme impitoyable sur le thème des chevaux humains : Attelages humains (1931) et Écuries humaines (1935), qui nous semblent caractéristiques de l’extrême fantaisie de la Select.

Aussi avons-nous voulu poursuivre le récit de ces deux textes du dénommé Skan et prétendument adapté d’un manuscrit danois par Bernard Valonnes, lequel précise dans sa « note du traducteur » (dans Écuries humaines) que la fortune et l’éloignement – nous sommes dans une immense contrée aux confins du Brésil, loin de tout centre policé (l’imaginaire du château sadien en est voisin) – donnent à certaines personnes richissimes une puissance telle qu’elles peuvent l’employer à satisfaire les plus « étranges caprice » et « les plus curieuses inventions ». Valonnes décrit donc des êtres humains qui « n’ont d’autre pensée que de ramener à l’animalité les créatures qu’ils achètent ou qui se livrent à eux et qu’ils se proposent comme but une assimilation sans cesse plus complète de leurs esclaves à des animaux domestiques, chevaux ou chiens ».

En effet, le dernier chapitre du rarissime Écuries humaines se clôt de la façon la plus outrageuse : par une exposition de chiens humains, à San Francisco, séquence qui est sans précédent dans la littérature SM de cette époque. Nous avons donc repris les personnages de cette saga chevaline en publiant Femellisé (S-B n° 99) et La Chienne fatale (S-B n° 10O). Si nous sommes restés fidèles au thème des chevaux humains, c’est ce dernier chapitre canin, d’un sadisme impressionnant, qui nous a inspiré notre suite, écrite par Don Brennus Aléra fils. Inutile de connaître les volumes originaux pour l’apprécier (nous en proposerons cependant des fac-similés dès que possible). Il est question de Mrs Stone, milliardaire américaine, et de sa nièce, la jeune Barbara d’Alaincourt, qui décident d’éduquer le dissipé Robert, neveu de la première et frère cadet de la seconde, en en faisant un ravissant et obéissant chien de luxe. Robert, désormais Riri, est promené en laisse, vit dans une niche et aboie du mieux qu’il peut. Mais il y a Pietro, dresseur de pouliches, dont la cruauté est sans limites et qui a bien envie que Riri devienne un caniche femelle d’une harmonieuse obscénité. Surgit aussi un personnage redoutable, plusieurs fois croisé dans des romans de la select : la Chanoinesse de Mareuil, pourvoyeuse d’esclaves. L’intrigue se déplacera du Matto-Grosso à Auteuil, puis à Berlin au début des années 1930.

Comme les volumes originaux de la Select, nos récits sont illustrés par Sybel. Ses compositions à l’encre restent fidèles au style de la collection. Outre la couverture, les volumes sont chacun ornés de 11 illustrations hors-texte (dont une en double page).

Jean Vergerie, fou littéraire

Jean Vergerie, fou littéraire

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Un cas pathologique de sadisme littéraire
On sourit avec indulgence à la lecture des romans de flagellation français de l’entre-deux-guerres, aimables jeux érotiques au cours desquels des soubrettes font mine d’avoir honte, joues cramoisies de plaisir, tandis que d’intraitables maîtresses retroussent leurs jupons pour les fesser. Littérature libertine où tout n’est que prétexte au plaisir consenti ou qui finit par le devenir par les sortilèges du fouet conjugal ou des effluves grisants du cuir verni.

Mais ce genre cuisant comporte aussi son lot de textes plus saignants dont le ressort érotique repose uniquement sur le non-consentement des victimes et le pouvoir absolu des dominateurs sur elles. Kidnappings, traite des blanches, contrées exotiques réputées sans pitié, pages sanglantes de l’Histoire permettent d’assouvir cette veine sadique, dans laquelle certains se sont illustrés avec un entrain délirant.

L’exaltation sadique de Jean Vergerie est à ce titre hallucinante, le place comme un précurseur des romans gore et probablement aussi dans la catégorie des « fous littéraires » dans le sens où l’entendaient Raymond Queneau et André Blavier. De 1935 à 1938, il écrit – et très probablement édite lui-même – sept romans au sadisme galopant. Dans la collection de l’Églantine (comme il existait la célèbre collection des Orties Blanches), Tortures et lubricité, Férocités sensuelles, Le Couvent des tortures, Goules et vampires, La Clinique des cauchemars, L’Enfer des voluptés et L’Île des vamps sont parmi les textes les plus insoutenables de son époque.

Ils sont illustrés de hors-textes signés Sao-Chang ou Sadie-Mazo, dans un style proche de la BD. Les tortionnaires se figent dans un rictus lubrique et les victimes ont le regard affolé et la bouche grande ouverte sur un cri.

 

Mieux qu’un autre, le dénommé Vergerie abdique toute subversion et propos philosophique pour réduire l’héritage sadien à l’espace clos des lieux de tortures. Châteaux perchés sur des îles de la Baltique, cliniques sophistiquées cachées en banlieue parisienne, clubs sataniques dans les sous-sols du Quartier Latin, ou cloître moyenâgeux d’une hacienda mexicaine.

Mal écrits mais d’une violence baroque, aux confins du grotesque, ses textes sont macabres, obsessionnels. MALADIFS. L’auteur se fait le comptable maniaque de toutes les horreurs, sombrant dans une énumération exténuante et une surenchère qui deviennent fascinantes. Il ressasse ses lubies à longueur de récits, propose, inlassable, d’infinies variations dans les châtiments. Le sadisme a trouvé son chantre éperdu. Avec lui, la

la clinique des cauchemars - Jean Vergerie - illustration #1

progression narrative se tétanise dix pages durant dans un détail. Il met en place une scène où l’on annonce qu’une femme va se faire arracher les tétins avec une tenaille chauffée au rouge et marque un temps d’arrêt pour décrire la tenaille avec minutie. Il privilégie les tableaux chocs, comme un spectacle saignant du Grand Guignol, ne s’encombre pas de psychologie et s’attache aux détails concrets des douleurs et aux descriptions des chairs suppliciées.

Au sein de cette littérature feuilletonesque dévoyée, étape dégénérée et terminale du roman gothique, Vergerie invente à lui seul LE ROMAN SADIQUE, précurseur d’un gore débridé, axé sur les tortures extrêmes et transporté par l’ivresse érotique des bourreaux sans morale, avec laquelle son écriture incantatoire, exagérée, se confond. Dépourvu d’ambition littéraire, réduisant les personnages à des caricatures, il met à nu les pulsions inavouables et vise à leur assouvissement immédiat. L’adjectif y est superlatif, jamais nuancé et vise à l’emphase.

Il n’est plus question de fessées et d’orties blanches mais d’éventrements, d’écartèlements, d’ébouillantages, d’énucléations, dans un bazar d’épouvante éprouvant où les chairs palpitent d’effroi et les râles se muent en hurlements lugubres.

TORTURES ET LUBRICITÉ, premier de la funeste série, donne le cri, sur une île de la Baltique, dans le château de Meinherhof, domaine de Fraülein Schlague, dominatrice en chevreau glacé. Il est question de scie mécanique, de crucification (néologisme vergerien), d’empalement sur un cylindre incandescent, de fesses râpées avec des tessons de bouteilles, de seins transpercés d’aiguilles.

 

Tortures et lubricités - Jean Vergerie - illustration #4

La scène dite de « la nuit de sang » reconstitue le supplice du Golgotha, avec trois crucifiées et une centaine d’esclaves au cul farci d’un bâton de dynamite, attachés à des croix enduites de poix. Vergerie célèbre « une messe rouge destinée à glorifier Satan-Baphomet, prince des voluptés, roi des Tortures ». La dominatrice de Meinherhof parodie les offices liturgiques, imite le prêtre embrassant l’autel, lèche le sexe de son amante, prononce le dominus vobiscum en empoignant son pubis. Elle taillade des seins pour remplir de leur sang un calice, découpe des sexes pour les placer dans un ciboire. Des seins en rondelles font des hosties de chair.

Elle brûle d’une éponge trempée dans l’ammoniaque la suppliciée centrale, figurant Jésus et qui hurle : « Ses cris douloureux voulaient probablement atteindre le ciel », ironise Vergerie.

 

L’auteur clôt le spectacle en apothéose barbare, faisant mettre le feu aux poteaux des cent esclaves au cul dynamité.
« Les hurlements de douleur s’élevaient, poussés par cent poitrines. Les flammes léchaient les chairs qui se tortillaient. Une âcre fumée s’élevait dans le ciel. L’odeur des chairs grésillées prenait à la gorge. On pouvait admirer les corps magnifiques des belles filles et des séduisants éphèbes, se tordant sous l’action d’infernales douleurs.

Quand les poteaux furent bien enflammés, les chairs des fesses bien rôties, le feu gagna l’extrémité des pétards de dynamite. Il y eut alors explosion. Les poteaux s’élevèrent dans le ciel avec la rapidité d’une fusée. Véritables torches en feu, ils s’élevaient jusqu’à plusieurs mètres de hauteur. Ce feu d’artifice humain dura une bonne demi-heure.

Enlacées sur l’autel dans une étreinte hystérique, Leni et Fraülein Schlague faisaient coïncider leur plaisir luxurieux avec le spectacle de la douleur et de la mort. »

Roman descriptif et visuel, il a même recours à des transcriptions phonétiques qui annoncent les onomatopées de la BD : les cravaches font WIZZ, WIZZ, WIZZ.

Vergerie aime les dénouements d’apocalypse. Il termine avec la confidente suppliciée, au crâne dénudé et écorché, un œil crevé, les oreilles arrachés, l’autre œil pantelant. Elle ose encore défier sa bourrelle, lui hurler sa haine, à travers ses lèvres boursouflées.

Ultime paragraphe, ultime paroxysme de torture et de lubricité – tout était dans le titre, Vergerie ne trompe jamais son lectorat :
« Fraülein Schlague s’était emparée d’un fouet et d’un trident. Elle avait pris la pose statufiée de la justice. Et cette allure théâtrale, en un tel lieu, ne manquait pas de grandeur. Deux serviteurs soutenaient Leni. D’un coup de trident, la Dominatrice de Meinherhof la précipita vers la cuve aux excréments. Longtemps, son corps sanguinolent flotta sur la vase, puis il s’enfonça dans cette boue fétide et nauséabonde. Alors, pour célébrer la mort de son amante, Fraülein Schlague se masturba sur le rebord du précipice. » POINT FINAL.

 

FÉROCITÉS SENSUELLES, plus picaresque, est un tour du monde du sadisme : un cabaret berlinois nommé « le marquis de Sade », une institution londonienne avec une chambre à lavement, un caveau des tortures dans le sous-sol du Quartier Latin à Paris, avec des satanistes cagoulés, une propriété en vallée de Chevreuse avec des femmes chevalisées, vêpres sataniques en l’honneur de Notre-Dame-des-Douleurs, avec une vraie nonne vierge, enlevée, urinant dans les ciboires pour consacrer les hosties. Une oasis en Afrique Orientale ; un émir comparé au « Maréchal Gilles de Rais », amateur culinaire de tétons mousselines, de bouchées mamelonnées, de pubis à la vinaigrette, d’esclaves rôties. Scène de zoophilie avec un orang-outang. A Pékin, un bain à la pieuvre, puis sectateurs de la déesse sanglante Kali : lavement à l’essence transformant ensuite les

Férocités sensuelles - Jean Vergerie - Illustration #3

victimes en chalumeau. Vergerie ose ce trait d’humour : « Jamais expression « p… des flammes » ne fût mieux appropriée. »

Fin lamentable de la terrifiante Fraülein Schlague, dans une tribu cannibale des Nouvelles Hébrides. Vergerie ne connaît aucune limite dans l’ignominie :
« A l’instant précis où le corps de Fraülein Schlague fut disloqué, l’indigène abattit sa masse, avec une précise violence, sur la tête de l’ancienne Dominatrice de Meinherhof. Il y eut un bruit sourd, un choc d’os brisés. Le crâne éclata. Alors, les notables fouillèrent avec leurs doigts à l’intérieur de la tête, afin de manger la cervelle.
Le chef de cette tribu cannibale fit aussitôt transporter le corps de la suppliciée dans sa hutte. Il désirait violer ce tronc rôti, torturé, encore chaud. Ainsi devait finir horriblement au milieu de la tribu la plus cruelle et la plus féroce du monde, Fraülein Schlague surnommée la Reine des Tortures. »

 

Le couvent des tortures - Jean Vergerie - Illustration #4

Très excité par les débauches religieuses, réminiscence flagrante aux Infortunes de la vertu, Vergerie imagine LE COUVENT DES TORTURES, dans l’hacienda de Fessacho, au Mexique. Le cloître est devenu un caveau moyenâgeux, avec des cellules de prison, des chevalets à clous, des sièges métalliques. Tortures incessantes et humiliations : messes noires, cylindres incandescents, position humiliante d’une esclave pour lécher une dalle recouverte d’excréments, boîtes hémisphériques pour écraser les seins, mâle féminisé,

Le plus extravagant : un lavement avec un jet de pompe à incendie, climax proprement vergerinesque :

« Le liquide est projeté avec violence. Il arrive si brutalement que l’esclave a l’impression qu’un coutelas

lui transperce les entrailles. La vierge pousse des cris affreux d’animal torturé. Son ventre grossit comme un ballon de baudruche. Ses entrailles sont déchirées. Et les fouets des deux bourrelles hachent le corps écorché à vif. Le tortionnaire ouvre alors en plein le robinet de l’eau. Un râle monstrueux est provoqué par l’abondante arrivée du liquide. En quelques secondes son corps grossit à vue. Puis, à bout, le ventre éclate, projetant à plusieurs pas les viscères, des morceaux de chair arrachés par la violence du lavement au corps torturé avec sadisme. »

L’ouvrage comporte en fin de volume un appendice de 9 pages détaillant tous les instruments de tortures du roman, « sorte de catalogue des fouets et appareils de supplices avec leur composition, leur rendement et le moyen de s’en servir ». En avant-propos, Vergerie affirme sans rire que « cet appendice n’a pour d’autre but que d’aider ceux qui désireraient vivre les joies cruelles du Couvent de Fessacho et voudraient se faire confectionner les fouets et appareils de tortures que les Dominateurs de ce volume emploient pour mâter leurs esclaves ». Il prend des accents de représentant de commerce du crime : les baguettes de saule sont « très flexibles, très cinglantes, les meilleures des fouets naturels » ; les tenailles aux mors aplatis sont « employées pour torturer les seins, arracher les dents ou la langue. Excellentes car le mors peut pincer une large surface de chair ». Il n’est jamais avare de bons conseils : pour l’usage du « pal Bibendum », ainsi nommé car, caoutchouté et relié à une pompe, il peut grossir de 2 à 10 fois son volume, il suggère de le garnir de feuilles d’orties, ou de clous. « Pendant ce curieux et inédit empalement, ajoute-t-il, on peut flageller et tenailler – avec des tenailles rougies à blanc – la suppliciée, puis étaler avec un pinceau de l’huile ou de la poix bouillante sur le derrière, les seins, le sexe et les cuisses. »

L’appendice de ce Monsieur Bricolage est repris dans GOULES ET VAMPIRES, se déroulant chez les pirates tortionnaires des mers de Chine. Les romans deviennent des catalogues pratiques pour l’emploi de treuils d’écartèlement, chevalet à bottines de fer pour lesbiennes, double manchon à lavement, pal aux boules de possession, colonne à clous, fouet aux boules enflammées, brodequins à vrille, pal aux lames de rasoir, ciseaux de la violence, croix de l’extension, mâchoires pour traire, entonnoir de viol, chaise-bascule cloutée, double poire d’angoisse, bagues à vis pour seins, pal tire-bouchon, fauteuil à gouttières.

 

Son cinquième roman, LA CLINIQUE DES CAUCHEMARS est une forme de chef-d’œuvre effroyable. Dans la banlieue parisienne, le docteur d’Arban a installé sa clinique dans un château moyenâgeux, avec un fossé ceinturant la demeure et un pont-levis. Officiellement, le lieu est un « Centre de Rééducation et de traitement des maladies nerveuses ». Le docteur réputé tient sous sa coupe des rejetons déments de familles aristocratiques, des bâtards qu’il faut dissimuler et sur lesquels il exerce tous les droits, des épouses hystériques amenées par leur mari. Tous sont transformés en esclaves pantelants, à moins qu’ils ne servent à ses expériences, comme c’est le cas des femmes qu’il fait enlever. Il est secondé par « Trois Vamps vernies », « trinité sainte et démoniaque, assoiffée d’amour et de lubricité », lesbiennes fétichistes dont les gaines de cuir moulent exactement leurs formes.

La clinique des cauchemars - Jean Vergerie - Couverture

S’ajoutent deux complices mâles, soit six détraqués sans morale : « Pour nous il n’y a pas de plaisirs dégoûtants ni sadiques. Il y a le PLAISIR tout court », affirme Sapho. Les esclaves sont violées par Doumba, le géant noir gardien du château, ou par un robot en fer blanc digne des serials de la Republic, surnommé le « Mâle d’Acier ». Elles sont droguées au « breuvage Z », un puissant aphrodisiaque, soumises à des corsets d’acier étrangleurs et des talons aiguilles qui maintiennent la voûte plantaire à la verticale, dévorées par des fourmis rouges (le hors-texte macabre conviendrait à un roman horrifique). Quelques sous-titres de chapitres : « De grosses mamelles sont serrées dans des étaux », « Mado est enfermée dans une boîte métallique », « L’effrayant et bizarre ferrage de l’esclave », « Le clystère d’huile bouillante », « Le chevalet demi-cylindrique garni de pointes »… Des intitulés flirtent avec le laconisme grinçant des faits divers narrés par Félix Fénéon (« Un chirurgien tortionnaire oublie des épingles dans un sexe cousu ») et la poésie étrange des romans populaires (« Dans la salle de la Mort Lente », « Le Mystère du Laboratoire n° 3 »). Si les Trois Vamps vernies ne poursuivent que l’assouvissement de leurs instincts sexuels, le docteur d’Arban affirme torturer dans des buts médicaux, expérimentant sur le système glandulaire, faisant gonfler les seins pour transformer ses victimes en « vaches laitières » aux pis desquelles il trait du lait pour son thé. Surgit le mystérieux professeur Fauvel que d’Arban fournit en « monstres » qu’il fait accoupler avec des animaux, pour revendre le résultat des accouchements aux fêtes foraines.

 

L'enfer des voluptés - Jean Vergerie - illustration #6

L’ENFER DE LA VOLUPTÉ, publié en 1937, a bénéficié des honneurs de la vénérable Nouvelle Revue Française. Dans le n° 101 de la NRF du 1er mai 1961, pages 947-48, un large extrait est reproduit, titré « Une galerie de monstres ». C’est le passage les plus dérangé de Vergerie, décrivant le résultat des opérations chirurgicales pratiquées sur des enfants volés dès leur jeune âge, transformés en monstres à grosse tête ou à large fessier, à la taille de guêpe serrée dans des corsets de fer ou encore aux seins poilus. Aurait-il vu, à sa sortie française en octobre 1932, La Monstrueuse Parade / Freaks de Tod Browning ? Se souvient-il des Comprachicos de L’Homme qui rit ? Les difformités multiples servent à des caprices sexuels : le nain fellateur

(sa petite taille n’encombrant pas le lit), pour bien remplir sa fonction, suit un traitement pour être rapetissé, amputé des jambes, émasculé, puis se voit enfin arracher les ongles et les dents ; il est à même désormais de remplir parfaitement la fonction pour laquelle il a été « déformé ». Qui donc, de Jean Paulhan, Marcel Arland ou Dominique Aury, avait bien pu apprécier cette prose fiévreuse ? Dans son avant-propos, Vergerie s’autocite et invente comme synonyme de « cruellement » l’adverbe « Jeanvergeriquement » ! Il y est question d’une vamp d’origine poldave, esclavagiste cruelle, et de sa « maison des Tourments » où elle « éduque » des esclaves, enfants volés par des gitans du monde entier, dont elle fait ensuite le commerce en les revendant à d’autres passionnés. Dans ce havre de souffrance, le sadisme n’a plus de limites : dépeçage, appareil aux cent aiguilles électriques, huile bouillante, suspensions, rinçage à l’acide, épreuve du pal tournoyant, chaise aiguillonnée, etc. Dans ce monde rêvé, quand la mort est en marche, Vergerie devient lyrique, s’égare dans la démesure, gagné par la jubilation, sans se soucier des répétitions des mots qui l’excitent :

« Alors la brute, prise de ce délire particulier qui gagne tout bourreau dans l’ivresse du sang, saisit une pince qu’il enfonce dans les yeux de la suppliciée. Il fouille les prunelles de sa pince avec une rage sournoise et grandissante. Il pulvérise le globe de l’œil et fouille jusqu’au fond de l’orbite. Deux jets de sang s’écoulent lentement des paupières aveuglées. Renée ne réagit plus. L’eau bout dans le chaudron. Priska prend l’entonnoir et d’autorité l’enfonce dans la bouche de l’esclave tordue de souffrance. Une louche d’eau est versée dans l’entonnoir. Le liquide bouillant ravage la gorge, l’œsophage et l’estomac et coule dans le corps supplicié avec un sourd glou glou. (…) Le ventre crève. Le bourreau en écarte et tire la peau et les chairs. L’eau jaillit en trombe du ventre ouvert et de l’estomac crevé. Alors pris d’une folie sadique, d’une rage de meurtre, Ivanoff fouille le corps de la suppliciée avec les tenailles et les pinces, riant comme un dément de son abominable dépeçage. »

 

Vergerie n’était peut-être pas dupe de ses excès, faisant son autopromotion avec un personnage citant tous ses précédents romans : « Un livre épatant, Férocités sensuelles ; c’est une véritable pétarade de viols, de supplices effrayants, de lavements, de fesses cinglées. (…) Tortures et Lubricités, Le Couvent des Tortures, Goules et Wampires, La Clinique des Cauchemars… Rien de plus sadique n’a jamais été écrit. »

Tout finira très mal, dans un dénouement quasi gothique, dans une salle des supplices où trône une Vierge d’acier pourvu de deux sexes métalliques. Plaisir et souffrance réunis en un seul mécanisme issu de l’esprit irrécupérable de Jean Vergerie. Mais qui donc était-il ? Sises au 5 rue Palikao, Paris 20e, puis au 2 rue

L'enfer des voluptés - Jean Vergerie - illustration #5

Gutenberg, à Boulogne-sur-Seine, les éditions Jean Vergerie furent peut-être la folie douce d’un rentier excédé par les mièvreries des autres romans de flagellation, un sataniste en Charentaises, un cousin de Gilles de Rais ou un modeste fonctionnaire de préfecture ?

Il ne fut pas le seul auteur de l’entre-deux-guerres à pousser loin l’outrance sadique. On peut penser à ses contemporains Jean de La Beuque et J. Van Styk, mais il fut le plus constant dans cet excès de sang. Personne encore ne s’est penché sur le cas pathologique de ce damné du « second rayon », dont le pseudonyme a préservé, comme tant d’autres, son anonymat. Personne non plus, excepté un éditeur de pornos clandestins pour un titre, ne s’est risqué à le rééditer. Quand nous avions chanté sa beauté brute le samedi 25 novembre 2017, lors d’une soirée anniversaire pour les vingt ans de l’émission radiophonique « Mauvais Genres » à la Maison de la radio, le public était en liesse en découvrant cette prose insensée, soutenue par le piano de Grégory Ott. Nous exhortions les éditeurs présents dans la salle à l’exhumer du néant. Quelques semaines plus tard, l’un d’eux se manifestait, intrigué, puis renonçait à sa mission après avoir lu L’enfer des voluptés. Comme le constataient Queneau et Blavier dans leurs définitions des « fous littéraires », ceux-là sont les seuls à pouvoir s’éditer, leurs livres ensuite croupissent dans les cachots de l’oubli, sans jamais rencontrer la moindre reconnaissance. Sur le marché de la bibliophilie, les « Vergerie » ne sont connus que d’une poignée d’amateurs. Leur rareté désormais et leur contenu extravagant font monter leur côte.

Bibliographie de la collection de l’Églantine

Jean Vergerie. Tortures et Lubricité.
In-8 (14,5 x 23 cm) de 237 pp. Couverture imprimée en rouge et noir. Frontispice en rouge et noir illustré par Lany-R. 8 ill. hors-texte en noir sur papier couché par Sao-Chang. Collection de l’Églantine.
Achevé d’imprimer à l’imprimerie J. Alacatin, 33 rue Pixérécourt, Paris, le 5 novembre 1935 pour le compte de l’auteur Jean Vergerie, 5 rue de Palikao, Paris.

Note : L’ouvrage est condamné les 08/05/1950 (T.C. Seine 10e) et 27/10/1953 (C. Paris 10e).

Jean Vergerie. Férocités sensuelles.
In-8 (14,5 x 23 cm) de 234 pp. Couverture imprimée en rouge et noir. Frontispice en rouge et noir illustré par Lany-R. 8 ill. hors-texte en noir sur papier couché par Sao-Chang. Collection de l’Églantine.
Achevé d’imprimer à l’imprimerie J. Alacatin, 33 rue Pixérécourt, Paris, le 5 décembre 1935 pour le compte de l’auteur Jean Vergerie, 5 rue de Palikao, Paris.

Notes : Suite de Tortures et Lubricité. Pour la commande du premier titre paru, il est fait mention, p. 232, des Éditions Jean Vergerie, 5 rue Palikao, Paris. L’ouvrage est condamné les 08/05/1950 (T.C. Seine 10e), 27/10/1953° (C. Paris 10e) et 14/10/1953 (T.C. Seine 17e).

Jean Vergerie. Le Couvent des tortures.
In-8 (14,5 x 23 cm) de 247 pp. Couverture imprimée en rouge et noir. Frontispice en couleurs et 8 ill. hors-texte en noir sur papier couché par Sao-Chang. Collection de l’Églantine.
Achevé d’imprimer à l’imprimerie J. Alacatin, 33 rue Pixérécourt, Paris, le 31 janvier 1936 pour le compte de l’auteur Jean Vergerie, 5 rue de Palikao, Paris.

Notes : Un appendice de 9 pp. sur les instruments de torture utilisés dans le roman. Annoncé dans le volume précédent sous le titre Le Moine sadique du couvent des tortures. Pour la commande des titres parus, il est fait mention, page 202, des Éditions Jean Vergerie, 5 rue Palikao, Paris-20e.

Jean Vergerie. Goules et vampires.
In-8 (14,5 x 23 cm) de 222 pp. Couverture imprimée en rouge et noir. Frontispice en rouge et jaune et 8 ill. hors-texte en noir sur papier couché par Sao-Chang. Collection de l’Églantine.
Achevé d’imprimer à l’imprimerie J. Alacatin, 33 rue Pixérécourt, Paris, le 19 mai 1936 pour le compte de l’auteur Jean Vergerie, 5 rue de Palikao, Paris.

Notes : Un appendice de 12pp. sur les instruments de torture utilisés dans le roman. Annoncé dans le volume précédent sous le titre Goule et Vampires tortionnaires. Pour la commande des titres parus, il est fait mention, p. 202, de l’éditeur R. Balland, 5 rue Palikao. L’ouvrage est condamné les 08/05/1950 (T.C. Seine 10e), 27/10/1953 (C. Paris 10e) et 14/10/1953 (T.C. Seine 17e).

Jean Vergerie. La Clinique des cauchemars.
In-8 (14,5 x 23 cm) de 222 pp. Couverture imprimée en rouge et noir. Frontispice en rouge et noir et 8 ill. hors-texte en noir sur papier couché par Sadie Mazo. Collection de l’Églantine.
Achevé d’imprimer à l’imprimerie Ragoneaux, 33 rue Pixérécourt, Paris, le 20 mars 1937 pour le compte de l’auteur Jean Vergerie, 2 rue Gutenberg, Boulogne-sur-Seine.

Notes : Au dos, mention de l’éditeur R. Balland, 2 rue Gutenberg, Boulogne-sur-Seine (Seine). L’ouvrage est condamné le 14/10/1953 (T.C. Seine 17e).

Jean Vergerie. L’Enfer des voluptés.
In-8 (14,5 x 23 cm) de 169 pp. Couverture imprimée en rouge et noir. Frontispice en rouge et noir et 8 ill. hors-texte en noir sur papier couché par Sadie Mazo. Collection de l’Églantine.
Achevé d’imprimer à l’imprimerie Ragoneaux, 33 rue Pixérécourt, Paris, le 4 novembre 1937 pour le compte de l’auteur Jean Vergerie, 2 rue Gutenberg, Boulogne-sur-Seine.

Notes : P. 165 et au dos, mention de l’éditeur R. Balland, 2 rue Gutenberg, Boulogne-sur-Seine (Seine). L’ouvrage est condamné les 08/05/1950 (T.C. Seine 10e), 27/10/1953 (C. Paris 10e) et 14/10/1953 (T.C. Seine 17e).

Réédition clandestine : Histoire de Priska, par Jean Vergerie, éditions de l’Hippogriffe. In-8 (9,5 x 19,2 cm) de 154 pp. Ouvrage condamné le 09/07/1962 (T.C. Seine 17e). Selon Dutel, il s’agit d’une édition du milieu des années 1950 par Eric Losfeld.

Jean Vergerie. L’Île des Vamps.
In-8 (14,5 x 23 cm) de 171 pp. Couverture imprimée en rouge et noir. Frontispice en rouge et noir et 7 ill. hors-texte en noir sur papier couché par Sadie Mazo. Collection de l’Églantine.
Achevé d’imprimer le 10 juillet 1938 à l’imprimerie spéciale et pour le compte de l’auteur Jean Vergerie, 2 rue Gutenberg, Boulogne-sur-Seine.

Notes : Annoncé sous les titres L’Île des Stupres (dans La Clinique des cauchemars) et L’Île des Wamps (dans le volume précédent), présenté par l’auteur comme la suite de La Clinique des cauchemars.

Erotylos. Trois Filles de Sappho.
In-8 (16,5 x 22,3 cm) de 204 pp. Couverture imprimée  et noir et rouge. Sans illustrations. Collection de l’Églantine.
Achevé d’imprimer le 29 février 1936 sur les presses de Jacques Alacatin, Maître-imprimeur à Paris pour le compte de l’auteur Erotylos, 5 rue de Pali-Kao, Paris.

Notes : Il a été tiré de cet ouvrage 500 ex. sur Vergé Gothic numérotés de 1 à 500. Pas de mention d’éditeur. Ce titre est annoncé dans les pages publicitaires des romans de Vergerie, mais il s’agit un récit érotique ne comportant qu’un chapitre évoquant le masochisme et trois grâces en cuir verni se nommant « les Roses noires ». Le style ne rappelle pas celui de Jean Vergerie et son format plus large diffère de celui des autres titres de la collection.

Joseph Farrel, au bord des abîmes

Joseph Farrel, au bord des abîmes

Joseph Farrel - illustration #6

En 2017, Christophe Bier édite à compte d’auteur la toute première monographie sur Joseph Farrel, dessinateur SM, établie avec la complicité de l’artiste lui-même. Un texte de présentation donne pour la première fois des informations biographiques sur un homme qui fut longtemps une énigme pour les amateurs de dessins hard et dont les livres ne circulaient que dans le réseau des sex-shops et des librairies spécialisées. Des textes thématiques sont rédigés par Dominique Forma et C. Bier, cernant les excès et la puissance de cette œuvre à la mine de plomb.
Mieux encore, les dessins sont reproduits à partir des originaux, sur un beau papier offset Munken lynx rough 150 gr. qui restituent bien les détails. Pour la toute première fois, le travail de Farrel, plus ou moins malmené par les éditions antérieures, obtient un écrin à sa démesure. L’intérêt de cette édition est déjà énorme, mais s’ajoute aussi un ensemble considérable de dessins inédits, dont certains sont inachevés et d’autres représentent des scènes noircies d’un texte manuscrit au crayon.

Ce livre d’art, en offset couleurs (un choix pour apprécier les nuances infinies de la mine de plomb et de quelques compositions en couleurs), couverture cartonnée et à tirage limité, fut un succès. Willem, forcément, le recensa dans Charlie Hebdo, Agnès Giard lui consacra un article dans sa rubrique des « 400 culs » sur le site de Libération, Bernard Joubert le salua dans ArtPress, la revue érotique Le Bateau publia plusieurs dessins et un article de C. Bier. Ce « Farrel »  de luxe, confidentiel, est en passe d’être épuisé.
La Select-Bibliothèque a récupéré les derniers exemplaires de ce tirage unique – il ne sera pas réédité – et deux magnifiques tirages de luxe (contenant, dans un coffret, un dessin original signé), disponibles sur la boutique. Pour les clients non francophones, un PDF de la traduction des textes français sera envoyé.
Egalement disponible : Pourquoi pleurent-elles ?, un « Farrel de sex-shop » publié par Promo MediaX en 2012.

Nous reprenons ici l’intégralité du texte rédigé pour le n° 17 du Bateau, février 2020, revue érotique dirigée par Jessica Rispal.

Qui est Joseph Farrel ?
Cet énigmatique illustrateur d’ouvrages SM diffusés en sex-shops et dans quelques librairies spécialisées jusqu’au début des années 2000 m’a longtemps fait peur. Je ne dois pas être le seul. Si je me suis précipité sur John Willie, Eneg, Jim et Stanton, les livres oblongs de Farrel me terrifiaient. Parfums de souffrance, Humiliations, Les Seins torturés, Jeux cruels ou encore Obéis, sinon !, le premier de cette cuisante bibliographie, n’offrent pas à l’amateur le recul esthétisant et le glamour fétichiste d’un univers de doux fantasmes. Leurs personnages féminins ne jouissent pas d’être torturés, contrairement aux soumises de l’école américaine. Ces dernières, sœurs de contraintes de Bettie Page, sont dans une affliction exhibitionniste. Dans des poses étudiées et des liens qui ne froissent jamais d’impeccables bas de soie, elles incarnent les pin-up d’un SM sexy et valorisant. Gwendoline en est le pimpant archétype, toujours au bord de larmes qui accentuent le charme de ses grands yeux suppliants. Les dessinateurs de la célèbre Nutrix d’Irving Klaw prennent le soin d’arrondir la ligne du postérieur, d’allonger les jambes, de creuser les reins, de tendre les seins. Le bondage exacerbe une humiliation gracieuse qui force la complicité de regards amoureux, chargés de désir. Magnifiées par le découpage des cadres et le choix des plans, ces demoiselles en détresse semblent contrôler à la perfection les situations les plus scabreuses, maîtresses en définitive d’un dispositif purement narcissique.

Chez Farrel, cette subtile complaisance n’existe pas. Ses femmes torturées ne se regardent pas souffrir. Elles ne veulent pas être sur le dessin. Elles ne triomphent pas d’être soumises. Elles ont honte. La complicité d’un BDSM consensuel disparaît. S’il existait la moindre connivence avec les sadiques (et, au-delà, avec la personne qui regarde le dessin), elles feraient les mêmes efforts de maintien que les mignonnes entravées de la Nutrix : ventre rentré, épaules redressées, pieds délicatement tendus, seins fièrement en obus, bouches ourlées qu’aucun rictus ne tordrait. Farrel dépouille ses femmes de sensualité, leur choisit des vieux collants chair, les enlaidit, les avilit. Il exploite les situations de

Joseph Farrel - Illustration #1

gêne et rend les exhibitions insupportables. Il n’épargne pas non plus les bourreaux, masques figés dans d’affreuses grimaces, monstrueux.
C’est sans doute cette dégradation du corps de la femme, sans fard, qui dérange, explosant dans la hideur d’un quotidien banal. Pas de cryptes ni de donjons, pas d’ambiance gothique qui laisseraient penser à une séquence imaginaire, une Histoire d’O respectueuse à l’issue de laquelle chacun repartirait, repu de plaisir. Farrel nous précipite dans des appartements ordinaires. Les meubles y sont fabriqués dans le plus déprimant Formica, les murs décorés de tableaux insignifiants, des pots de fleurs tentent d’égayer le salon. Ses protagonistes lamentables, issus de la classe moyenne pavillonnaire des Trente Glorieuses ou du prolétariat des immeubles sociaux, alimenteraient de leurs forfaits le voyeurisme salace du magazine de faits-divers Détective. La famille, le voisinage, le mariage, l’enfantement, la vie de couple, le monde du travail, Farrel pulvérise tous nos repères et fait ressortir, par la minutie rugueuse de la mine de graphite, la cruauté sociale et l’hypocrisie de ce qu’il est aujourd’hui convenu de nommer le « vivre-ensemble ». Ses crayons Faber-Castell, effilés à la râpe comme des stylets, matérialisent un monde éprouvant, d’une noirceur vertigineuse. Certaines exagérations physiques (des étirements mammaires proprement cartoonesques, mais que Farrel affirme réalistes) recèlent pourtant un humour noir, proche des excès grotesques de l’ero-guro japonais.

Joseph Farrel - illustration #17

La violente beauté de son œuvre serait sans doute restée très marginale sans Roger Finance, un renégat du commerce pornographique, Toulousain débonnaire qui travailla à l’époque héroïque de l’éclosion des sex-shops aux débuts des années 1970. Passionné par les livres, il se lança dans l’édition érotique, publiant des romans hard, des BD, des romans illustrés, des magazines porno, de quoi alimenter tous les sex-shops de France. Il prit la relève de Dominique Leroy,

l’une des premières éditrices de Farrel, et témoigna envers son dessinateur d’une indéfectible fidélité. Jusqu’à sa mort, il survivait seul, dans son dernier sex-shop de Toulouse, parmi les putains clairsemées de la rue Héliot. Les DVDs y avaient supplanté les livres. « Plus personne ne lit », disait-il d’un ton las. En 2012, il me contacta. Il avait un nouveau Farrel à imprimer et cherchait quelqu’un pour les textes accompagnant les dessins. J’avais déjà pratiqué un travail mercenaire similaire pour lui, quelques années auparavant. J’acceptai cette fois avec un désir plus vif. Perversions, le dernier album de Farrel, remontait déjà à 2000. Farrel était donc toujours en vie, penché sur sa loupe, courbé pendant des heures sur du papier cartonné, à respirer la poussière de graphite et soigner le détail d’une larme. Quand j’ai découvert l’ensemble des dessins qu’il me fallait commenter, le titre s’est imposé aussitôt : Pourquoi pleurent-elles ?

« Puisque vous aimez ses dessins, vous pourriez le rencontrer… » Par cette simple proposition de Finance, mon travail de commande est devenu l’une des plus frémissantes aventures que j’ai connues : découvrir le mystérieux artiste derrière ces femmes en pleurs, puis éprouver l’irrépressible nécessité d’en publier un livre-somme, sur un papier qui rende au mieux la trouble âpreté de la mine de plomb, montrer des esquisses, des œuvres inédites ou inachevées, porter à la lumière cet inconsolable réprouvé, hors du circuit interlope et moribond des sex-shops, lever un peu le voile et affirmer l’évidence : Farrel, qui se définit sans la moindre fausse modestie comme « un petit dessinateur de merde », est un artiste bouleversant, d’une folle liberté. « Je suis dans le noir, je suis dans le sombre. J’ai fini des dessins en pleurant. » Pourquoi pleure-t-il ? Sans concession, vivant sans relâche son dessin, sept à huit heures par jour, passant huit à quinze jours sur une séquence, dans un état d’excitation qui est le seul gage pour lui de la réussite de son travail, Farrel s’abandonne dans ses gouffres et nous y aspire. On croirait qu’il reproduit comme dans un rêve des scènes auxquelles il a assisté. Les détails triviaux le donnent à penser. On souffre avec ces dessins. C’est comme s’il avait dans le dos des psychologues lui disant : « Essayez de vous souvenir… » Et il ajoute un détail, ici ou là, l’œil écarquillé sur sa loupe, à refaire les plis tombant d’un collant peu seyant, la peinture d’un bateau sur le mur, donnant cette impression de « reconstitution d’un crime ».

L’extraordinaire intensité des dessins de Farrel nous rappelle que l’artiste ne doit se soucier d’aucune convenance et d’aucune censure. Il doit être inacceptable.

Christophe Bier